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Revealing Encounters [Rencontres révélatrices]

Conversation avec Rina Rolli et Tiziano Schürch (Studio Ser)


Studio Ser est une agence d'architecture pilotée entre 2019 et 2025 par les architectes suisses Rina Rolli (aujourd'hui Ofreia Architecture) et Tiziano Schürch (aujourd'hui Studio Tiziano Schürch). La conversation avec Studio Ser s'est déroulée en décembre 2022 dans leurs bureaux à Zurich, suivie d'une visite sur place pour découvrir leur projet à Monte. Cet entretien a mis l'accent sur trois aspects pertinents de leur travail dans le cadre du projet qu'ils ont développé dans les villages de Monte et Morbio Superiore, dans la région du Tessin, en Suisse. Tout d'abord, il est intéressant de voir comment leur interprétation de l'idée de réactivation et de réhabilitation dans le contexte rural, dans le cadre des projets discutés, pourrait déboucher sur un modèle transposable ailleurs. Ce qui est également pertinent dans leur pratique est la projection à différentes échelles aboutissant à des dessins très précis de la situation analysée et à la construction de petites interventions architecturales, qui s’intègrent subtilement dans le contexte. Enfin, Studio Ser a également organisé en juillet 2022 une université d'été dans le Valle di Mubbio, développant à partir de leur analyse préalable sur le terrain un processus participatif impliquant les habitants et aboutissant ici aussi, à la construction de prototypes architecturaux pérennes qui dialoguent avec le vernaculaire.


Pouvez-vous décrire comment vous avez lancé le processus dans cette vallée du sud du Tessin ?


Rina Rolli :

Dès le début, nous étions très intéressés par le développement d'un projet pilote pouvant être mis en œuvre dans un contexte où une réhabilitation était nécessaire. Mais dans le cas de Monte, il s'agit davantage de prévention que de réhabilitation. C'est un village encore en activité, mais qui est extrêmement fragile.  En ce sens, notre intervention à Monte relève donc davantage de la prévention afin de maintenir cet équilibre. Dans le cas de Morbio Superiore, un autre village situé de l'autre côté de la rivière, on peut davantage parler d'un processus de réhabilitation. Morbio Superiore est plus périphérique, sur la trajectoire de la vallée urbaine de Mendrisio, et est ainsi devenu une sorte de village-dortoir, tandis que les habitants travaillent à Chiasso, Mendrisio ou Lugano. Le sens de la communauté s'est perdu au fil du temps, et ce sont surtout les personnes âgées qui en souffrent, car ce sont elles qui y passent leurs journées. À Morbio Superiore, notre tâche a consisté à réhabiliter un tissu social qui avait complètement perdu son centre. Il s'agissait de redonner une centralité à ce lieu. Nous avons constaté une expansion urbaine de maisons individuelles s'éloignant du noyau très compact, car beaucoup de gens ne voient pas l'intérêt de vivre dans le noyau.

Pour revenir à Monte, qui été notre premier projet, nous pouvons dire qu'il s'agit de notre projet pilote car si l'on remonte aux origines du projet, celui-ci pourrait s'appliquer à des réalités éloignées de Monte, mais qui présentent des contextes similaires.


Monte · Studio Ser | Crédits · Salomé Wackernagel, 2023
Monte · Studio Ser | Crédits · Salomé Wackernagel, 2023

Tiziano Schürch :

Quand on nous demande comment nous procédons, nous expliquons toujours que ce sont bien sûr le contexte social, historique et physique, ainsi que le temps considérable que nous avons consacré à l'observer, à le cartographier et à interroger les gens, qui ont finalement motivé l'intervention que nous avons proposée. Nous n'avions pas de programme, c'est le contexte qui nous l'a dicté.


Vous avez donc commencé ce projet sans programme ?


Tiziano Schürch :

Exactement, sans programme.


Rina Rolli :

Après trois ans sur place, le projet de Monte est aujourd'hui presque achevé.

Au début, nous sommes allés sonner aux portes des gens !


Tiziano Schürch :

Nous sommes allés visiter les maisons, bien qu'en réalité, c'était plutôt nous qui étions observés. Nous avons vraiment essayé de faire tout notre possible pour comprendre comment les gens vivaient là-bas, au lieu de dire : « Bon, dites-nous ce que vous voulez, essayez de le faire » et ainsi nous décharger de toute responsabilité. Nous avons plutôt essayé de comprendre comment cette communauté vivait, puis à partir de là, nous en avons donné une interprétation.


Rina Rolli :

Ils ouvraient leurs albums photos personnels, et comme il s'agissait généralement de personnes assez âgées, on pouvait voir des photos des lieux publics du village, comment ils vivaient. Les gens nous racontaient des anecdotes très personnelles, mais aussi des choses très générales, presque des faits historiques, et nous avons également pu consulter les archives. De cette manière, nous avons essayé d'avoir une vue d'ensemble. Il nous a fallu trois mois d'entretiens avant même de tracer une ligne, avant de faire quoi que ce soit.


Ce calendrier était-il prévu dès le départ ? Avez-vous proposé à votre client (la municipalité de Castel San Pietro) de mener un projet participatif dès le début, en expliquant que vous auriez besoin des trois premiers mois pour analyser et vous familiariser avec le contexte ?


Rina Rolli :

Cela s'est développé au fil du temps, nous ne l'avions pas initialement prévu avec cette ampleur, mais nous avons avancé pas à pas, au fil des nécessités qui apparaissaient pendant la phase d'analyse. La municipalité s'est montrée très compréhensive et souhaitait avant tout un projet qualitatif. Le fait est que nous n'avions pas de cahier des charges. En général, en tant qu'architecte, on vous confie une tâche, le client vous dit par exemple « je veux un hôtel » et vous concevez un hôtel. Dans notre cas, l'objectif était d'essayer d'améliorer la vie des personnes âgées dans ce village. Alors, que faites-vous ?  Vous devez trouver des éléments et construire votre propre projet.

Tiziano Schürch :

C'est ce qui nous a beaucoup plu ici, le fait que le projet ne se limite pas à ce que vous avez conçu, mais plutôt à la profonde compréhension du lieu et à une proposition contextuelle.


Des interventions physiquement minimes, mais très impactantes...


Tiziano Schürch :

En général, chaque intervention visait à créer une situation de rencontre entre les habitants, une interaction sociale : par exemple, les personnes âgées ont besoin d'une rampe pour se déplacer, mais si elles n'ont aucune raison de sortir de chez elles, pourquoi auraient-elles besoin d'une rampe ? Nous avons eu l'idée de créer des situations qui ne s'adressent pas seulement à une génération, ni à un seul groupe de personnes, mais à un large éventail de personnes, des enfants aux personnes âgées. Ainsi, toutes les interventions offrent des situations ludiques aux enfants afin qu'il y ait toujours cette possibilité d'échange. Au final, l'idée est d'offrir des possibilités. En tant qu'architecte, vous ne proposez ni ne divisez les fonctions, mais vous créez en quelque sorte des objets qui rendent ces usages possibles. Parmi les usages et interprétations possibles, il existe également la possibilité d'une interaction plus complexe entre les personnes. Dans le cas des mains courantes, vous pouvez y placer une bille pour que les enfants puissent jouer avec...

Et il y avait toujours le thème de la réactivation de la mémoire, en veillant à ce que la mémoire du lieu puisse également être transmise à la génération suivante. Ainsi, lorsque nous savions qu'il y avait une anecdote liée au lieu où nous intervenions, nous essayions toujours de la rendre visible d'une manière ou d'une autre, ou de l'utiliser pour la conception de l'intervention. Nous avons ajouté une fontaine devant l'église, qui sert également de banc où les personnes âgées peuvent s'asseoir, tout en créant une situation de jeu avec l'eau...

Il s'agit d'introductions très subtiles et de superpositions de fonctions dans l'espace public qui forment des objets permettant diverses interprétations et donc divers usages. C'est quelque chose que nous avons essayé de reproduire dans chaque intervention. À cela s'ajoute la multiscalarité de ces petites interventions qui rejoint en fin de compte la grande échelle.

En lisant la matérialité des choses, on saisit vraiment toute l'essence d'une région, par exemple du point de vue géologique, si l'on travaille avec un type de pierre locale à laquelle on redonne une visibilité. Nous avons utilisé le marbre d'Arzo, une pierre extraite à quelques kilomètres de Monte. C'est un matériau extrêmement beau, exploité depuis l'Antiquité, mais qui a connu son apogée à l'époque baroque en raison de son aspect extrêmement riche et varié. Il a été utilisé dans de nombreuses églises et édifices sacrés, y compris à l'intérieur du Duomo de Milan. Aujourd'hui, malheureusement, en raison de son association avec le monde religieux, ce matériau est très peu utilisé. Dans le cadre du projet, nous l'avons traité en essayant de proposer une esthétique différente, loin des associations ecclésiastiques. Nous avons également utilisé des matériaux traditionnels comme le laiton, un matériau qui a toujours été utilisé ici, et même la couleur : à petite comme à grande échelle, la Valle di Muggio est une région qui se caractérise également par la couleur de ses maisons, la façon dont les portes sont peintes, la façon dont la pierre reflète la lumière. En fin de compte, cela fait partie du paysage. À partir d'un travail fait de détails et de petites situations, leur multiplication et la réflexion approfondie sur la matérialité et les compositions chromatiques le transforment en un projet à grande échelle.


Il s'agit à la fois d'un travail de conception d'objets et d'un projet à grande échelle (urbanisme). Outre la multi-échelle de votre travail, la temporalité que vous apportez est également très intéressante : vous partez d'un processus à court terme (trois mois pour découvrir un lieu et développer une approche sensée de celui-ci, ce qui est très court), mais vous parlez également d'une immersion dans le passé des gens et de l'histoire, ce qui représente un cadre temporel beaucoup plus long. De plus, la force de votre projet réside dans votre approche participative : la plupart du temps, les projets participatifs auxquels j'ai participé ou que j'ai vus chez d'autres collectifs ou studios sont éphémères. Alors que l'utilisation que vous proposez est pérenne...


Rina Rolli :

En effet, notre objectif est d'intervenir dans l'espace public et, plus généralement, dans l'architecture, de manière à créer un arrière-plan sur lequel la vie peut se dérouler. Nous disons toujours espérer que dans vingt ans, personne ne remarquera qu'un architecte est intervenu dans cet espace. Parce qu'il fera partie de la mémoire collective, il sera intégré. Nous espérons que notre travail est cohérent, mais aussi sensible au contexte, qu'il n'interfère pas, même si, disons, dans dix ans, il n'y a plus de personnes âgées, parce que la situation a changé (croisons les doigts !), il ne devrait pas devenir obsolète, mais rester un élément en retrait qui est constamment redécouvert. Car si vous faites quelque chose qui est mis en avant en permanence, de trop voyant, les habitants peuvent finir par s'en lasser, non ?


Tiziano Schürch :

Nous avons choisi de créer des objets durables, sur lesquels on peut ajouter des anecdotes et des souvenirs. Certaines parties de nos interventions sont peut-être plus fragiles, comme les bancs, qui sont faits d'une structure en pierre et en béton recouverte d'une planche de bois. Certains éléments dureront probablement plus longtemps que d'autres, mais on aime l'idée qu'ils puissent durer et permettre ce genre de superposition de souvenirs collectifs.


Pouvez-vous m'en dire plus sur la Summerschool « Revealing Encounters » que vous avez organisée à l'été 2022 ?


Tiziano Schürch :

Monte était en quelque sorte le camp de base, et chaque groupe d'étudiants a travaillé dans un village différent.


Rina Rolli :

Les participants étaient extrêmement motivés, vraiment enthousiastes, et venaient du monde entier. Nous avons d'abord proposé ce programme dans les écoles où nous enseignons (l'ETH à Zurich et l'Université de Barcelone - UPC), ainsi qu'à l'USI à Mendrisio, mais il s'avère que le programme a connu un succès fulgurant et nous avons reçu des candidatures de Harvard, d'Anvers... de partout. La Summerschool se déroulait sur huit jours, ce qui est très court. Les étudiants se sont d'abord rendus dans les différents villages par petits groupes et ont observé comment les gens se rencontraient, essayant de leur parler si la barrière de la langue le permettait (pour beaucoup, c'était possible car ils étaient espagnols et parlaient un mélange de langues latines).


Tiziano Schürch :

Voici Monte et voici les cinq autres villages – et ici, vous avez déjà Mendrisio. C'est donc vraiment l'une de ces régions périphériques où l'on peut rejoindre l'autoroute en 20 minutes.


Une sorte de périphérie éloignée.


Tiziano Schürch :

Exactement. Avec les étudiants, nous avons commencé par un exercice que nous avions utilisé il y a trois ans au Chili, où nous avions eu la chance d'être invités pour un atelier. Nous avons eu l'idée de travailler avec une sorte de cadavre exquis dans lequel chaque étudiant dessinait une partie du territoire. Dans le cas du Valle di Muggio, nous avons divisé la carte en 16 feuilles et chacun a ensuite dessiné une partie de cette immense carte. Pour nous, le dessin est une expression très directe de la perception que l'on a d'une chose, qu'il s'agisse d'un territoire entier ou d'un objet à petite échelle, et c'est quelque chose de très important. Les dessins étaient donc présents dès le début et nous avons commencé par cette image à grande échelle de la vallée. Ensuite, les étudiants ont été amenés chaque jour dans leurs villages où ils ont passé 8 heures ou plus à faire un relevé des espaces publics. Nous avions un programme très clair dans lequel ils devaient d'abord rechercher des « rencontres ».

Une rencontre est pour nous – plus nous travaillons avec ce mot, plus il devient « nôtre » – tout d'abord la rencontre entre les personnes, dans laquelle l'architecture peut créer la rencontre, mais aussi des situations qui se produisent, même si vous ne le souhaitez pas, dans lesquelles votre approche de la réalité physique est plus ou moins similaire à nos vies, dans lesquelles vous souhaitez peut-être rencontrer quelqu'un, quelque chose, et parfois vous y parvenez, parfois non, parfois c'est autre chose. Au final, en tant qu'architecte et en tant qu'être humain, vous devez être capable d'en tirer quelque chose. Le mot « rencontre » résume cette idée. Les étudiants devaient d'abord rechercher des rencontres existantes, des situations qui faciliteraient et provoqueraient la rencontre entre les habitants du village...


Rina Rolli :

Trois rencontres qui fonctionnent déjà, et trois rencontres où ils voient un potentiel.


Tiziano Schürch :

Des rencontres en quelque sorte « manquées ». Où tout est presque là, mais où il manque quelque chose. Par exemple, il y a une fontaine magnifique, mais on ne peut pas la voir, et c'est juste une situation devant laquelle on passe sans s'arrêter.


Rina Rolli :

Nous avons été aidés par le fait que nous menions déjà un projet dans ces deux communes [Castel San Pietro et Valle di Muggio, où l'université d'été a eu lieu en juillet 2022], car le soir où ils (les étudiants) ont décidé ce qu'ils allaient faire, nous avons appelé deux responsables techniques des deux communes et leur avons expliqué : « Bon, ce groupe veut faire ceci et cela là-bas, pouvons-nous creuser ce trou là-bas, et faire ceci et cela là-bas ? Bon, le groupe suivant va... et ainsi de suite ». C'était une façon assez informelle d'obtenir une autorisation de construire !


Dessin à main levée réalisé dans le cadre de la Summerschool ‘Revealing Encounters’ | Crédits: Aleix Salazar, Carmen Höhener, Lara Avram, 2022
Dessin à main levée réalisé dans le cadre de la Summerschool ‘Revealing Encounters’ | Crédits: Aleix Salazar, Carmen Höhener, Lara Avram, 2022

Et tout a été possible ? La municipalité a accepté toutes les propositions faites par les étudiants ? Ce qui frappe, c'est l'homogénéité, dans les couleurs, les matériaux...


Rina Rolli :

Ils ont approuvé toutes les propositions, oui. En ce qui concerne les matériaux, les étudiants ont reçu un catalogue de matériaux locaux. Et ils ont pu compter sur l'aide de deux personnes : l'une travaillant dans une entreprise de construction, l'autre étant métallurgiste. Les étudiants ont donc construit avec leur aide pendant deux jours dans l'atelier communal, puis ont procédé à l'installation sur place. Ça a été un moment de fête pour les étudiants qui n'avaient jamais coupé une pierre ou soudé quoi que ce soit. Le processus a été vraiment très intéressant.


Tiziano Schürch :

C'est incroyable de voir à quel point le fait de travailler sur un projet très spécifique crée de nombreuses interactions avec la population. Nous avons vécu des situations très amusantes : au début, les étudiants ont proposé une intervention subtile consistant à placer un banc près d'une magnifique fontaine, mais certains habitants s'y sont totalement opposés, demandant à voir une autorisation officielle et affirmant que ce n'était pas autorisé. Mais une fois le projet terminé, ces mêmes habitants sont venus s'asseoir sur le banc et ont déclaré : « En fait, c'est plutôt confortable ». Le lendemain, nous sommes retournés sur place avec différents critiques que nous avions invités – Jan de Vylder, Ludovica Molo, ainsi que quelques journalistes... Ces habitants ont demandé : « Puisque vous êtes là, pourriez-vous aussi faire quelque chose pour cet endroit-là ? » Au final, la réaction a été très positive. Ce qui est également lié au caractère éphémère des réalisations achevées durant cette Summerschool : même si les interventions sont éphémères, il est important de les concevoir et de les réaliser de manière à leur donner une certaine crédibilité. Les installations éphémères ont souvent un langage très différent de celui de l'espace public, c'est-à-dire du contexte lui-même. Même si nous créons quelque chose qui ne restera que deux mois, nous voulons créer quelque chose qui puisse vraiment s'intégrer dans l'espace public.


Dessin à main levée réalisé dans le cadre de la Summerschool ‘Revealing Encounters’ | Crédits: Albert Jimenez, Max Boeehringer, Sofia Manieri, 2022
Dessin à main levée réalisé dans le cadre de la Summerschool ‘Revealing Encounters’ | Crédits: Albert Jimenez, Max Boeehringer, Sofia Manieri, 2022

Donc, malgré la durabilité des matériaux choisis (la pierre, le laiton, à l'exception du bois) et la précision de la réalisation, les installations créées et construites pendant la Summerschool étaient destinées à être retirées ?


Rina Rolli :

C'était l'accord que nous avions conclu avec la municipalité.


Tiziano Schürch :

En fait, elles sont toujours là ! Il s'agit en fin de compte de créer de nouveaux récits, même s'il s'agit d'une petite intervention. De plus en plus, notre travail d'architectes consistera probablement à créer des récits plutôt que des bâtiments. Donner une autre limite aux choses afin que d'autres fonctions, d'autres valeurs puissent être trouvées dans quelque chose qui existe déjà.


À propos de récits, l'un de ces points de narration n'est-il pas « il pozzo » (le puits) qui crée un chemin narratif entre différentes fontaines, galeries et lavoir ? Ce récit a été créé en dehors de la Summerschool, par votre studio.


Rina Rolli :

Le thème de l'eau est en effet très important. C'est un élément qui a la capacité, sans mots ni grands gestes, de rassembler des personnes de tous âges et de toutes conditions. Grâce aux discussions que nous avons eues avec les habitants, nous avons redécouvert tant de lieux cachés qui portaient des traces historiques, parmi lesquels ce puits que très peu de gens connaissaient. Ce sont des traces qui se trouvent sous nos yeux sans que presque personne ne le sache.


Tiziano Schürch :

Là encore, il s'agit de valoriser des choses qui, après une très longue observation, nous semblent importantes pour la mémoire et l'identité d'un lieu.


Rina Rolli :

En ce sens, il s'agit également de durabilité : les gens feront davantage d'efforts pour entretenir un bâtiment s'ils peuvent s'identifier à l'objet architectural. Vous créez ainsi quelque chose qui, dès le départ, a plus de chances de durer. C'est pour nous une façon de construire de manière durable. Le facteur social a un impact écologique très important. Nous démolissons des bâtiments datant des années 1970 qui pourraient rester debout pendant au moins cinquante ans encore, mais d'autres facteurs, des facteurs sociaux, semblent ne plus pouvoir les supporter.


Tiziano Schürch :

L'idée de l'ordinaire, de la manière de donner une présence à ces choses qui sont très importantes pour un lieu dans la vie quotidienne. Par exemple, nous avons construit à l'entrée de la Bottega (la boutique communale de Monte) une étagère spécialement conçue pour le boulanger qui fait chaque jour le tour des villages de la vallée et y dépose le pain, au lieu qu'il soit laissé sans protection devant les portes. Ce rangement pour le pain est un tout petit exemple du type de geste quotidien qui existe déjà et qui acquiert juste ici une matérialité.


Rina Rolli :

La Bottega elle-même, qui est une coopérative gérée principalement par des bénévoles, est un excellent exemple de communauté. Nous sommes intervenus dans ce local de manière très simple : nous avons simplement fait l'inventaire de ce qui s'y trouvait, puis nous avons réorganisé l'espace. La Bottega peut être considérée comme un magasin communal, qui est en fait privé puisqu'il est géré par la coopérative, mais sur la base de notre proposition, la municipalité a investi pour le réaménager.


De fait, l'aspect économique et la répartition du budget entre toutes ces interventions jouent également un rôle dans la concrétisation des projets dans l'espace public.


Tiziano Schürch :

Oui, et la définition de ce qu'est l'espace public, ce que signifie « public », pourquoi l'argent public devrait y être investi... Le rôle de l'architecte est également celui d'un médiateur qui traite avec les différents acteurs.


Rina Rolli :

Outre la Bottega que l'on trouve à Monte, chaque village dispose d'une maison communautaire, mais ils ne savent pas vraiment quoi en faire et elles sont pour la plupart vides. Dans le cas de Monte, ils ont un grand espace de réunion avec une cuisine, ainsi qu'un espace extérieur, ce qui est très rare dans le centre du village car il est très dense. Il n'était utilisé que comme jardin d'agrément, nous y avons donc simplement ajouté une longue table pour que tout le monde puisse se retrouver. Les habitants peuvent dire : « J'ai dix amis qui viennent, où est-ce que je vais ? Je vais là-bas ! ».


Tiziano Schürch :

Et c'est aussi un moyen de rendre la vie dans le village, ces situations rurales, plus attrayantes : pourquoi les nouveaux habitants devraient-ils aller vivre dans une maison individuelle en dehors du centre plutôt qu'ici, si vous commencez à avoir un espace extérieur commun et public avec une table plus grande que celle que je pourrais avoir chez moi, avec une cuisine commune pour cuisiner pour vos visiteurs et votre famille ?


Il est vrai que dans ce cas, le centre du village est une alternative intéressante à la vie dans les pavillons périurbains...


Tiziano Schürch :

Exactement, et là encore, nous revenons à l'idée de la multi-échelle du projet : pour la table, nous avons utilisé un type de pierre, le marbre d'Arzo (qui n'est en fait pas vraiment du marbre, mais qui est appelé ainsi), très lié au lieu.

Autre intervention très mineure, nous avons travaillé sur l'entrée publique du cimetière, qui est un endroit étroit, mais un espace public très important. Ici, l'espace reste étroit, mais nous avons essayé de lui donner une valeur publique, en le rendant plus accessible avec quelques marches et en aplanissant le sol autant que possible, et aussi en introduisant une fontaine, là encore comme une rencontre, quelque chose qui a été créé dans un coin de ce petit espace où personne n'imaginait ce qu'il pourrait devenir. Nous avons en quelque sorte proposé de donner une fonction à ce recoin, en y créant un espace de détente. Avec quelques détails, nous réunissons toutes les pierres qui composent la géologie du Mendrisiotto...


Rina Rolli :

Cette rencontre semble un peu « romantisée », mais elle a aussi sa justification : sur les tombes, on dépose des fleurs en plastique si l'on ne dispose pas d'un point d'eau à proximité. Nous avons donc donné la possibilité aux visiteurs du cimetière [qui sont nombreux dans la culture tessinoise, en particulier les personnes âgées] de s'approvisionner en eau, en plus de faciliter l'accès grâce à une nouvelle entrée ergonomique. 

Et pour finir avec nos « rencontres » : les personnes avec lesquelles nous avons discuté pendant notre phase d'observation parlaient sans cesse de la Piazza. Mais nous ne parvenions pas à trouver l'endroit auquel elles faisaient référence, car ce n'était pas la Piazza de l'église à laquelle nous pensions. C'est dans l'une des images historiques que nous avons recueillies à Monte, lors d'un beau moment avec une femme du village, que nous l'avons redécouverte. La Piazza se trouve dans la rue principale, là où se trouve la Bottega, là où se trouvait l'ancienne poste... C'est la Piazza telle qu'elle reste dans l'esprit des habitants. La femme nous a raconté qu'avant qu'elle ne soit asphaltée, il y avait sur cette Piazza quatre gros morceaux de pierre percés de trous qui avaient été calculés à la dimension exacte de la canopée du saint pour la procession annuelle. Le reste de l'année, les enfants jouaient aux billes – les billes que l'on trouve aujourd'hui dans les rampes d'accès que nous avons créées pour faciliter l'accessibilité dans différents endroits du village. Même si les pierres qui composaient la Piazza n'ont plus la même fonction, nous les avons réintégrées. Nous avons profité de la rénovation du revêtement de la rue principale pour intégrer ces traces du passé.


Tiziano Schürch :

Cette place est d'autant plus importante qu'elle servait de point de jonction entre les deux parties du village.


Rina Rolli :

Sur la place de l'église, il y avait autrefois un banc derrière, que nous avons également découvert sur les photographies qui nous ont été remises. Il avait été retiré pour différentes raisons et nous avons donc décidé que cette place aurait un nouveau banc, également dans un coin, avec des matériaux similaires à ceux d'avant, mais mieux intégrés au contexte. 


Dans le cadre de cette intervention, vous avez sculpté une fine ligne dans le sol, qui guide l'eau dans le chemin général. Cela nous ramène-t-il au récit de l'eau dont nous avons parlé précédemment ?


Monte · Studio Ser | Crédits · Salomé Wackernagel, 2023
Monte · Studio Ser | Crédits · Salomé Wackernagel, 2023

Tiziano Schürch :

En effet, il y a également un lien avec l'eau ici : l'eau sort d'un petit tube en laiton placé sous le banc et se fraye un chemin jusqu'au deuxième coin de la place ! Le banc n'est donc pas seulement un banc, c'est aussi une fontaine, qui laisse l'eau s'écouler en suivant un petit chemin que nous avons dessiné sur le sol...

Nous avons essayé de reproduire cette multifonctionnalité dans chaque intervention, depuis cet exemple du banc sur la place de l'église jusqu'aux rampes qui sont également des artefacts pour jouer avec le marbre.

Dans le cas de la conception de la rampe, celle-ci est très ordinaire, juste un peu plus fine pour être moins visible, et elle est dotée d'embouts en laiton percés de trous dans lesquels on peut lancer des billes. Les enfants l'utilisent intensément. 

De plus, la discrétion de l'intervention et sa contextualisation sont très importantes à nos yeux, surtout si vous travaillez dans un contexte aussi délicat qu'un vieux village avec un tel patrimoine.


Votre travail peut être mis en relation avec l'intervention d'Ocamica Tudanco, qui a réalisé le projet de revalorisation de la place principale du village de Mansilla Mayor, en Espagne.


Tiziano Schürch :

Oui, nous aimons cette référence. Il s'agit d'un volume très simple placé sur la place centrale, avec ce détail en laiton, et il y a cette jolie photo avec une dame qui apporte un bidon en plastique pour le remplir – une scène quotidienne.


Le fait que vous travailliez à très petite échelle, en répétant des éléments, des couleurs et des matériaux (comme l'utilisation du laiton), doit-il être compris comme une décision à la fois conceptuelle et budgétaire ? Imaginez que vous disposiez d'un budget plus important pour intervenir dans un contexte similaire, celui d'un village vieillissant...


Tiziano Schürch :

Ce n'était pas une question de budget.


Rina Rolli :

Nous ne voulions pas que cela devienne un espace « design ».


Votre travail est très poétique, ce qui laisse place à l'interprétation. Cela m'amène à ma dernière question : travaillez-vous avec des références qui vous ont aidés à créer cette contextualité poétique ?


Rina Rolli :

C'est très intéressant, car ce n'est pas que nous évitons les références, mais notre principale référence est le contexte. Je veux dire par là que nous tirons énormément d'informations du contexte.

De plus, le travail avec des matériaux spécifiques découle du contexte. Si vous savez, dans ce contexte, comment travailler le marbre, alors vous travaillerez le marbre et choisirez une esthétique qui va avec le marbre.


Tiziano Schürch :

En fait, j'essayais d'imaginer – peut-être que dans ce que nous avons fait au sol, il y a un peu de Pikioni... Mais c'est peut-être une sorte de référence absorbée par chacun d'entre nous...  


Rina Rolli :

Comme Scarpa.


Tiziano Schürch :

Notre mode de travail consistait plutôt à faire le tour de la vallée le samedi pour voir comment les matériaux étaient utilisés. Puis à comprendre, et à aller chez le tailleur de pierre. J'ai vraiment l'impression que le design en lui-même n'est pas vraiment un problème, même si nos objets sont très design, mais qu'ils étaient finalement le résultat le plus normal, ordinaire, direct et, pour nous, le plus spontané de cette recherche pour créer, par exemple, une fontaine. Vous utilisez du laiton, car vous ne trouvez aucun autre matériau dans la vallée pour une fontaine, à part le laiton. Ensuite, les contraintes économiques déterminent la forme du robinet et, au final, son esthétique.  


Rina Rolli :

En architecture, il y a vraiment une surabondance de références, nous essayons de ne pas travailler ainsi.


Tiziano Schürch :

Bien sûr, vous pouvez utiliser des références ponctuelles, comme par exemple pour la table en pierre, vous pouvez vous inspirer d'autres tables en pierre similaires. Et pour la couleur, nous avons consulté une publication du canton du Tessin qui présente les couleurs les plus courantes dans la région. Dans le Valle di Muggio, on trouve ce vert que nous avons utilisé.


Rina Rolli :

En appliquant cette couleur à presque tous les éléments que nous avons créés, vous l'exagérez d'une manière telle que ce même vert devient visible comme un nouvel ajout.


Tiziano Schürch :

Nous avons également mis les étudiants dans une situation où nous leur avons dit : « Bon, voici les deux couleurs les plus courantes dans la vallée de Muggio, si vous voulez peindre du métal ou du bois. » Dans le passé, ils utilisaient soit du rouge, soit du vert, nous leur avons donc donné ces deux couleurs, en combinaison avec les pierres locales et le laiton. Au final, chaque lieu a son propre langage. Il aurait été intéressant de réaliser ce projet ailleurs.


Ce serait en effet très intéressant de le considérer, comme vous le disiez au début de notre conversation, comme un projet pilote, une boîte à outils que vous transposez dans un autre contexte. 


Rina Rolli :

Nous avons hâte de le faire ! Le projet à Monte s'est achevé en octobre, et l'idée est maintenant de proposer ce projet à d'autres municipalités. Cela ne signifie pas nécessairement que ce doit être au Tessin (bien sûr, c'est le terrain sur lequel nous travaillons actuellement), cela peut être n'importe quelle région alpine confrontée à des problèmes similaires. 


Pour vous, cela devrait être dans les montagnes ?


Rina Rolli :

Il faudrait que ce soit une région périphérique, cela pourrait aussi être un petit village quelque part en Italie. Le projet évoluerait.


Tiziano Schürch :

Les entre-deux, les endroits qui ne sont plus périphériques, qui ne sont pas dans une situation idyllique, mais qui manquent aussi d'une identification claire, sont intéressants. Il serait très intéressant de travailler dans ces situations, sur la manière de créer une nouvelle centralité.


 

 
 
 

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